Le verrou de Fragonnard
Le Verrou de Fragonard est certainement l’une des toiles du peintre les plus déroutantes. Ce tableau qui semble, de prime abord, extrêmement simple, suscite finalement beaucoup d’interrogation.
Sur la droite, un jeune homme enlace une jeune femme et de la main droite pousse le verrou du bout du doigt, ce qui est assez irréaliste. La jeune femme serrée contre lui se pâme et le repousse. Il y a là ambiguïté sur l’attitude féminine , la femme par coquetterie peut feindre de résister, mais il y a aussi la possibilité de lire ce tableau comme une résistance au séducteur. Toute la partie gauche du tableau est occupée par un lit dans un extraordinaire désordre. On peut résumer ainsi: à droite le couple et à gauche rien.
Effectivement, il n’y a pas de sujet dans cette partie du tableau, juste des drapés, des plis, donc finalement de la peinture. Mais le critique d’art Daniel Arasse voit dans ce désordre bien plus qu’un lit à baldaquin. Au fond du lit les oreillers s’y dessinent aussi comme une paire de seins, tandis que « la draperie du fond s’entrouvrant sur une secrète intimité laisse augurer la figure d’un sexe féminin » ? Est-ce pure fantaisie que de noter que « l’angle satiné du drap évoque une cuisse et un genou habillés du même tissu que la jupe de la fille » dont cette couche serait ici l’image hallucinée ? Quant à la pomme, lorgnée par l’homme, difficile de ne pas y voir le fruit biblique sur lequel ce Don Juan s’apprête à fondre, fruit dans lequel ce dernier, pourtant, a déjà mordu !
Il apparaît donc que ce rien est l’objet du désir. Mais nommer le lit comme genou, sexe, sein, sexe masculin dressé, est scandaleux, car c’est précisément ce que ne fait pas le tableau. Il ne le dit pas, ne le montre même pas, au spectateur de le voir ou non.